Interview : comment l’algorithme de Tinder entretient le patriarcat

Interview : comment l’algorithme de Tinder entretient le patriarcat

Si vous lisez ce post, il y a de fortes chances que vous utilisiez souvent Tinder, tel pres de 50 millions d’individus a travers le monde.

Vous est-il deja arrive de vous reclamer comment fonctionne cette sorcellerie qui vous met en relation, comme par magie, avec des celibataires a la douzaine, aussi proches de vous geographiquement que culturellement, intellectuellement et socialement ?

Judith Duportail, elle, s’est pose le sujet – et ca tombe beaucoup, puisqu’elle est journaliste. Au moment oi? Tinder refuse de repondre a ses sollicitations, elle insiste. Patiente, elle attend le heure. En mars 2017, surfant via l’arrivee du RGPD, elle oblige l’entreprise a lui fournir l’integralite des donnees personnelles relatives a ses 870 matchs enregistres depuis 2013 – une toute premiere mondiale. Et la, surprise, le document fait 802 pages.

Pas rassasiee par ces informations, qu’elle juge aussi importantes qu’incompletes, elle se lance au sein d’ une nouvelle quete, sarcastiquement qualifiee “d’existentielle” : celle de son “score de desirabilite”, ou Elo Score, dont l’existence pantalon revelee par le PDG de Tinder, Sean Rad, en 2016. Notre systeme reste au c?ur du fonctionnement de Tinder : l’algorithme vous assigne une note, de 0 a 1, en fonction d’un nombre de criteres fixes (dont des estimations de ce categorie socioprofessionnelle, de ce niveau d’etudes, de votre vocabulaire et meme de votre QI suppose).

Cette note, qui est plutot une cote, reste constamment reevaluee, des que vous creez la profil, en fonction de toutes vos interactions au milieu des autres utilisateurs. Plus vous matchez et plus votre note remonte… mais ce n’est nullement si simple. L’evolution d’la note depend egalement de celle des utilisateurs qui swipent a gauche ou a droite : etre ignore par une note plus basse que vous aura un impact negative, tout comme etre matche via “ceux d’en haut” vous fera significativement grimper l’echelle de une telle supposee meritocratie charnelle.

Notre recette secrete : un brevet de 27 pages

Dans L’Amour sous algorithme, le livre paru le 21 mars dernier aux editions d’une Goutte d’Or, Judith Duportail demolit consciencieusement le peu d’illusions que nous pouvions encore avoir sur la supposee neutralite des algorithmes de Tinder. En 234 pages, la journaliste de 32 annees raconte a la fois son enquete… et le addiction au service, qui modifie profondement son rapport au corps, au desir et a la seduction.

Un melange des genres gonzo, fera d’allers-retours entre temoignage feministe et enquete technologique, qui culmine avec la decouverte d’un brevet de 27 pages, depose en 2009 dans Google Patent via les deux cofondateurs de l’appli et mis a jour jusqu’en 2018. Si vous pensiez que Tinder vous proposait des matchs potentiels au regard de leur proximite geographique, vous allez etre surpris.

Ce que raconte Judith Duportail, c’est que sous une carrosserie a toutes les reflets progressistes, la machine Tinder tourne dans votre moteur ideologique bien moins rutilant : votre algorithme qui propose a toutes les hommes des jeunes femmes plus jeunes, moins diplomees et moins riches – mais jamais l’inverse.

Notre systeme decrit avec le brevet est donc a sens unique, pense via des hommes et Afin de des hommes. Une machine a reproduire des dogmes patriarcaux, meticuleusement assemblee via nos developpeurs. Normal, explique l’autrice, puisque votre sont eux qui paient le service Tinder Gold (aux Etats-Unis, le service compte 4 millions de clients ). L’an dernier, Tinder aurait genere 810 millions de dollars de benefices, et cela en fait l’une des applications des plus rentables https://besthookupwebsites.org/fr/feeld-review/ de l’App Store.

Contactee par la journaliste, l’entreprise assure que le systeme brevete n’est jamais utilise dans l’application et parle “d’interpretation fallacieuse”. Cependant, le 15 mars, quelques jours avant la sortie du livre, Tinder annoncait avoir mis fin au”score de desirabilite”. Et cela, au fond, ne fera que renforcer l’opacite de l’ensemble de ses pratiques. Nous avons rencontre Judith Duportail pour repasser avec celle-ci via votre annee passee a demonter la machine Tinder.