Cheminee au fond.
Porte tenture a gauche. — Table a droite. — Pouf au milieu. — Un piano ouvert. — Fleurs bon marche. — Quelques cadres au mur. — Feu de bois. — Une lampe allumee.
Blanche reste assise a sa table. Robe d’interieur. Vieilles dentelles, c’est son seul luxe, tout le heritage. Elle a fouille ses tiroirs, brule des papiers, noue la faveur d’un petit paquet, et retourne dans une boite une lettre ancienne qu’elle relit. Ou plutot, elle n’en relit que des phrases connues. Celle-ci l’emeut jusqu’a Notre tristesse. Une nouvelle lui fera hocher la tete. Une nouvelle enfin la force a rire franchement. On sonne. Blanche remet, sans hate, la lettre dans sa boite, et la boite dans le tiroir d’une table. Puis elle va ouvrir elle-meme. Maurice entre. — Des ses premieres phrases et ses premiers gestes, on sent qu’il reste comme chez lui.
Bonjour, chere et belle amie.
Bonjour, mon ami. (Maurice veut l’embrasser par habitude, politesse, ainsi, pour braver le peril. Elle recule.) Non.
Je vous assure que ca ne me troublerait pas.
Ni moi ; precisement : c’est inutile… Avez-vous termine toutes vos courses ?
Toutes, ainsi, je m’assieds ereinte. Que ne peut-on s’endormir garcon et se reveiller marie ? J’habite alle d’abord a la mairie : m’adressant ici, et la, puis a droite, puis a gauche, puis au fond, rencontre de relation chaude j’ai questionne divers messieurs ternes que mon mariage n’a jamais l’air d’emouvoir bon nombre… De la, j’habite alle chez le tailleur, essayer mon habit. Il me conseille decidement legerement d’ouate ici. J’ai, Par exemple, une epaule plus basse que l’autre.
Je n’avais pas remarque.
Je peux l’avouer, aujourd’hui que ca vous est egal.
Je ne le dirai a personne.
De la, j’habite alle a l’eglise. Il parait qu’il va falloir me confesser !
Vraisemblablement, il va falloir remettre la ame a neuf.
Mes uns m’affirment que le billet de confession s’achete, et les autres que je puis tomber sur un pretre grincheux qui me dira, si je pose Afin de l’homme de l’univers et l’esprit fort : « Cela ne s’agit aucune ca, mon garcon. Etes-vous chretien, oui ou non ? Si vous etes chretien, agenouillez-vous et faites votre examen de conscience. » J’me vois grotesque, frappant nos dalles de mes bottines vernies. Agreable quart d’heure !
Cela vous faudra, je le crains, plus d’un quart d’heure. Pauvre ami, la fiancee vous saura gre d’un tel sacrifice !
Je suis reellement embete… Et dites-moi, (Avec hesitation.) ma chere amie, vous ne songez gui?re a vous derober, vous assisterez surement a le mariage ?
Vous m’invitez toujours ?
Naturellement. A la ceremonie religieuse.
Je compte sur vous. (Froidement.) On s’amusera, (Plus gaiement) vous surtout. Vous me verrez descendre nos marches de l’eglise, avec la petite en blanc.
Vous ferez tres bien.
Malgre moi, je pense, faut-il le reconnai®tre ? Oh ! je peux tout dire a vous… (Cela vient s’asseoir dans le pouf, i ci?te de Blanche.) J’imagine a des histoires de vitriol.
Ah ! vous me sondez ! Eh bien ! mon ami, quittez vos idees. Elles vous donnent l’air candide. Est-ce assez vilain, votre homme qui a peur ! Car vous avez peur, ainsi, vous vous tiendrez sur la defensive, le coude en bouclier. Les saints riront dans leur niche. Vous meriteriez !… mais je craindrais de bruler ma robe.
Taquine ! Vous vous trompez, vous ne m’effrayez gui?re, et j’ai meme l’intention de vous presenter a ma femme, tel une parente.
Ou comme une institutrice Afin de des bambins a naitre. Prochainement, je les garderais, ainsi, vous pourriez voyager.
Deja aigre-douce ! ca debute mal.
Aussi vous m’agacez avec ce systeme de compensations. (Elle se leve et remet a Maurice la carte une fleuriste et la carte de madame Paulin.) Moi, je suis allee chez la fleuriste. Elle promet de vous fournir, chaque matin, des fleurs de dix francs.
Oh ! j’ai marchande. Par ces froids, ce n’est pas cher.
Non, si les fleurs seront belles, ainsi, quand on les porte a domicile.
On les portera. J’ai prie madame Paulin de vous chercher une bague, 1 eventail, une bonbonniere et quelques menus bibelots. J’ai dit que vous vouliez etre genereux, sans faire de folies, toutefois.
Evidemment. (Avec une legere inquietude.) Et ce va etre payable ?
A la gre ; plus tard, apres le mariage.
Je vous felicite. (Il se leve ; l’ensemble de 2 paraissent separes par la table.) Vraiment, vous n’etes jamais une soeur tel nos autres.
Aucune femme n’est comme des autres. Quelle femme suis-je donc ?
Une femme de tact.
Puisque bien est convenu, arrete.
D’accord. Oh ! jusqu’a cette derniere visite, nous avons ete parfaits. Mais c’est la derniere visite. Nous ne nous reverrons plus.
Nous nous reverrons en amis. Vous le disiez bien a l’heure.
Oui, mais plus autrement. Et dans l’escalier, j’avais de vagues transes.
Rien ne gronde en moi. Au moment oi? J’me suis donnee a vous, ne savais-je pas qu’il faudrait me reprendre ? Si le decrochage fut penible…
Nous n’en finissions plus. Nos deux c?urs tenaient beaucoup.